lundi 7 janvier 2019

Les premiers jours de retour en France

L'alsacien ayant terminé cette blague - le Gendarme demande le nom de mon camarade et le mien. Je réponds spontanément Morretti et Angelot. Le gendarme me remet mon vélo en disant que c'était bon et en me conseillant de ne plus oublier mes papiers. Après "Heil Hitler" je roule direction La Chapelle. Un bon coup de "Schnaps" m'a fait du bien. La route est longue et pénible avec ses montées et descentes. J'ai poussé au maximum pour voir avant la nuit ce qui serait possible de connaître sur la nouvelle frontière depuis l'annexion de l'Alsace en septembre dernier.
Arrivé au sommet de la dernière côte avant La Chapelle j'entends le bruit éloigné d'une moto conduite par un Militaire Allemand. J'ai de suite rapidement quitté la route pour m'enfoncer dans le bois de sapins, plaçant mon vélo dans une combe et me cachant de manière à pouvoir observer la route. Il s'agissait bien d'un Militaire qui se rendait au détachement de gardiens à la nouvelle frontière. Quelques minutes après les chiens se mirent à gueuler. Je me suis demandé si le gendarme de Soppe le Bas s'était aperçu que j'avais joué la comédie. Il ne restait que peu de temps avant la tombée de la nuit. La moto reprenait la route, sa mission terminée. Je n'entends plus les chiens. La pluie s'étant mise à tomber les chiens perdant leur flair n'avaient plus d'utilité. De toute façon j'avais ce qu'il fallait pour les éliminer avec quelques poignées de poivre bien moulu. J'abandonne le vélo. Je trouve l'endroit idéal pour me permettre d'avoir une bonne idée de la situation. Placé au sommet du bois je distinguais nettement le tracé de la frontière, la baraque des sentinelles, les piquets jalonnant la frontière bien au delà de ce que je désirais. J’apercevais même les petits villages en zone occupée les plus proches de cette frontière. La nuit commençait à tomber - j'ai attendu, le passage me semblait facile- mais comme on le dit souvent, toujours des risques et des imprévus- mais il y avait souvent aussi la chance. Je crois qu'il y a aussi un bon Dieu pour les évadés. Le point était fait sur ma boussole - je devais suivre parallèlement la frontière à 200 mètres de distance à l'opposé des gardiens et bifurquer de 45° dans les terres. Je devais après avoir franchi la frontière faite quelques 100 mètres en zone occupée pour avoir la certitude de me trouver en FRANCE occupée. La nuit arrivait à grand pas (nous étions le 20 novembre 1941) . Après 2 heures d'attente, la nuit venue, les gardiens faisaient la navette le long de la frontière à raison d'un gardien tous les 200 mètres environ. Le contrôle sur les gardiens était très facile, chacun d'eux était porteur d'une lampe donnant un éclairage tamisé en bleu - ceci  pour la protection aérienne. Il n'y avait pas meilleur moyen pour tracer la nuit la position de la frontière aux évadés. On aurait pu passer cette frontière plusieurs fois de nuit sans risque. une heure après la sortie de mon refuge, je me trouvais en France occupée, précisément à Petite Fontaine. Avant mon entrée dans le village j'ai dû ramper environ cinquante mètres dans un terrain boueux avant d'avoir dans mes bras la borne kilométrique portant le nom de Petite Fontaine, que j'ai dû embrasser couché dans le ruisseau longeant la route. Couché en long dans ce canal j'étais comme dans une baignoire trempé jusqu'aux os. J'ai rêvé un bon moment de cette position regardant plusieurs fois cette borne, symbole de tant d'espoir et de souvenirs. Je sors de cette position pour me présenter à la première maison la plus proche de la route. Il était 10 heures. Je frappe à la porte, c'était un homme de 60 ans environ. Je lui ai demandé s'il était possible de sécher mes vêtements à la cheminée. Il a compris de suite que j'étais un évadé. Pendant que mes effets commençaient à sécher il me préparait un repas sans me parler. C'était un très bon repas bien arrosé. Nous avons parlé un bon moment de la guerre et de ma 3e évasion. Après avoir fumé chacun un bon cigare il me laisse libre de me coucher sur le divan où passer la nuit près de la cheminée pour entretenir le feu. Lui ayant demandé où se trouvait la gare des cars, en me renseignant il me donne les horaires pour Belfort - Je pensais prendre le départ à 6 heures du matin. Après les adieux et remerciements nous nous séparons.